samedi 1 octobre 2016

Le terrorisme israélien et la retenue des Palestiniens

Amira Hass             

"Tandis que les experts continuent d’expliquer pourquoi le « calme » a pris fin, ce qu’il faut clairement expliquer, c’est la retenue des Palestiniens face à la violence des Israéliens.", écrit dans Haaretz, Amira Hass, qui s’inscrit en faux dans la manière dont les médias présentent la situation en Israël/Palestine.

"Le déchaînement d’agressions à coups de couteau est de retour ? La vague de terreur bat son plein une fois de plus ? Vous avez tort, Messieurs Dames. La vague, c’est un océan, la terreur n’a jamais cessé et son audace ne fait que croître. On ne l’appelle pas par son vrai nom – on la qualifie de « sécurité » : Ses auteurs se promènent librement et obéissent à l’ordre d’intimider quatre millions d’êtres humains.
Vous faut-il une traduction ? Le régime militaire qui nous est imposé depuis des dizaines d’années, c’est de la terreur pour les Palestiniens.
Moi aussi, je crois que c’est de la terreur car les gens sont intimidés à tel point que leur vie leur est volée et que leur santé, leur bien-être et leur maison sont détruits afin que nos maîtres jouissent de leurs droits, gagnent en politique et en économie en étendant leur territoire, par exemple Sussia, Kfar Adumim et la vallée du Jourdain où l’irrigation des fines herbes paye bien, et en exportant des armes. La terreur, ce sont des dizaines de milliers de soldats armés déployés en Judée, en Samarie et à Jérusalem, ville unifiée. Ils apportent la frayeur, car on les y envoie pour perpétuer cette infâme dépossession.
Un individu armé d’un fusil regarde dans un miroir : il est terrorisé par l’image d’une personne qui braque une arme à feu sur lui. Ce n’est pas une illusion d’optique ; c’est cognitif. Il semble que nous ne puissions pas nous voir comme la cause, des agresseurs – disons-le franchement – des terroristes, vis-à-vis de ceux qui, depuis leur naissance vivent sous une pluie de décrets militaires, nos fusils, tanks, avions, hélicoptères et drones crachant du feu sur eux.
Nous ne nous voyons pas ? Je corrige : Nous refusons de nous voir comme la cause. Dans un réflexe pavlovien rabattu et ennuyeux, nos médias qualifient de « vague » les agressions à coups de couteau, et avec l’aide d’analyses savantes, expliquent pourquoi le « calme » est terminé. Ça peut aussi virer au pathétique : « Une terroriste de treize ans a essayé de donner des coups de couteau, au poste de contrôle d’Eliyahu. On a tiré sur elle. Légèrement blessée ». Reportage de « Channel 7 », chaîne du colon-qui-pense. Ce reportage n’a pas changé, même après qu’il s’est avéré que le sac « suspect » que portait la fillette ne contenait rien qui puisse mettre en danger la vie de nos soldats (par ex. un couteau, un tournevis ou un crayon pointu). Un présentateur de Radio Israël a même continué de décrire ses mouvements au poste de contrôle comme une tentative d’attaque. Réalisateurs et reporters vont et viennent mais le titre reste : « Les Palestiniens ont recommencé à nous attaquer, nous les nebechs (les misérables) du ghetto ».
Le titre « Inquiétude au sujet de l’éruption d’incidents (de sécurité) » est déployé en tête de la page d’accueil du site web d’Haaretz. Il n’est pas là pour rassembler des reportages sur la façon dont des dizaines de jeunes Palestiniens deviennent handicapés après des tirs de balles IDF Ruger dans leurs genoux. Ce n’est pas le même titre pour le déchaînement d’interdictions de quitter la bande de Gaza, ou pour une autre vague de soldats, tueurs de Palestiniens qui ne posaient aucun danger de mort : à al-Fawar (Mohammed Hashash), Silwad (Iyad Hamed), Shoafat (Mustafa Nimer). Vous n’y trouverez pas de titre résumant les orgies quotidiennes que sont les incursions militaires (au moins 116 entre le 9 et le 21 septembre). Par exemple, à Bil’in mercredi dernier (le 21), au matin : Les « nebechs » du ghetto ont fait irruption chez des militants des Comités de résistance populaire – faisant une peur bleue aux enfants – et ont confisqué (c.-à-d. volé) des ordinateurs et des téléphones cellulaires. Ni morts ni blessés pour nos soldats : la réalité est une victime dont on ne parle pas !
On fait des reportages sur une nouvelle vague de terreur lorsque des juifs : soldats, gardes-frontières, sont atteints ou se sentent menacés. Des dizaines de milliers d’histoires et de reportages – principalement dans Haaretz – qui traitent de violence militaire et bureaucratique en Israël, se transforment en accidents aléatoires. Le flot intolérable et continu de harcèlement délibéré contre les Palestiniens est lié au fait que nous sommes des occupants militaires étrangers, et ne se voit pas comme un continuum, dans le milieu journalistique.
Les journalistes aiment le drame et la tragédie. Quand le désastre est permanent, ça ne fait plus sensation, spécialement lorsque la cause, c’est nous. Les misères journalières que nous infligeons aux Palestiniens n’existent pas dans le monde des israéliens. C’est pourquoi ça fait rarement la une, et l’absence de gros titres, à son tour, forme dans notre esprit, une réalité dans laquelle tout est bien. Alors se forme une tout autre réalité où l’on se pose la question : « Qu’est-ce qu’ils ont ces Palestiniens à encore nous attaquer ? »
Un citoyen jordanien et six Palestiniens, y compris quatre mineurs, ont péri sous le feu israélien en moins d’une semaine, au cours de tentatives d’attaques ou d’attaques présumées. Le 9 septembre, une bombe éclairante lancée par « l’Armée de Défense d’Israël », a tué Abdel Rahman al-Dabbagh, âgé de 16 ans, alors qu’il manifestait contre le siège de Gaza, près de la barrière. La réponse probable à la question de savoir s’il y avait un moyen autre que celui de tuer toutes ces personnes, sera que les fusillades ont obéi aux règles d’engagement.
Le déni cognitif empêche les israéliens de se rendre compte du réel degré de retenue des Palestiniens. Parmi les quatre millions de victimes de cette constante terreur, seule une poignée d’entre eux expriment leur désespoir par des actes qui les conduisent presque certainement à la mort. C’est cette retenue collective, non le petit nombre de d’attaques au couteau ou de tentatives d’attaque à la voiture bélier, qui mérite une explication. Cette retenue est un bien-fondé, car ce n’est pas le bon moment pour une lutte de masse. Cette retenue exprime le désespoir, parce que ceux qui écoutent partout dans le monde, ne sont pas les décideurs et que ceux qui décident n’écoutent pas.

On trouve également de l’espoir dans la retenue des Palestiniens : Ils sont du côté de la justice et de l’avenir, puisqu’ils combattent pour leur libération. "

Traduit par Chantal C. pour CAPJPO-EuroPalestine
Source : http://www.haaretz.com/opinion/.premium-1.744264

 CAPJPO-EuroPalestine

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