Ce dont nous sommes les témoins en Palestine, c’est la lutte
existentielle du peuple indigène d’un pays toujours menacé de
destruction.
Dans le cadre de ce que Israël appelle « l‘Intifada aux couteaux »,
une scène inhabituelle s’est déroulée à Ramat Gan, où de nombreux
résidents sont des juifs irakiens. Une petite femme mince protégeait un
homme à terre, poursuivi par une foule d’une quarantaine de personnes,
parmi lesquelles des soldats, qui voulait le lyncher.
Tandis qu’il gisait au sol, quelqu’un lui pulvérisa à bout portant du
gaz lacrymogène dans les yeux. Il réussit à murmurer à son ange
gardien : « Je suis juif. » Quand le message parvint enfin à la foule,
celle-ci le laissa tranquille.
Il a été poursuivi parce que presque tous les juifs irakiens
ressemblent à des Palestiniens. De fait, la majorité d’entre nous, juifs
d’Israël, ressemblons à des Palestiniens. Les seuls juifs qui sont
« protégés » sont les juifs orthodoxes Mizrahim qui ont adopté les
vêtements que portaient leurs prédécesseurs ashkénazes au 17ième siècle
en Europe, rejetant leur tenue « arabe » traditionnelle.
Peuple invisible
Il n’est pas le seul à avoir été attaqué. D’autres juifs arabes ont
été pris pour des Palestiniens. Être considéré comme un Arabe en Israël,
même sur la base de l’apparence, signifie que vous faites parti des
indigènes invisibles, dépossédés de leurs droits et superflus.
Cette attitude n’est pas sans précédant dans l’histoire. La plupart
des sociétés coloniales de peuplement ont adopté cette attitude à
l’égard des indigènes : les indigènes pour les sociétés coloniales de
peuplement sont un obstacle qu’il faut éliminer, tout comme les pierres
dans les champs, les moustiques des marécages, et dans le cas du
sionisme des débuts les juifs les moins aptes, physiquement et
culturellement.
Après l’Holocauste, le Sionisme ne pouvait plus se permettre de faire la fine bouche.
Quand on analyse l’origine de l’actuelle Intifada, on peut à juste
titre pointer du doigt l’occupation et la colonisation juive qui
s’étendent.
Mais le désespoir qui a engendré les troubles actuels n’est pas le
fruit direct de la colonisation de 1967, mais plutôt, de presqu’un
siècle d’invisibilité, de déshumanisation et de destruction potentielle
du peuple palestinien, où qu’il se trouve.
On peut constater à quel point ce déni de l’humanité des indigènes de
Palestine est enraciné dans le débat politique israélien d’aujourd’hui
si l’on considère les deux principaux discours faits à la Knesset mardi
dernier, celui du Premier Ministre Benjamin Netanyahou et celui du
leader de l’opposition Yitzhak Herzog.
Netanyahou a très bien expliqué pourquoi le désespoir palestinien
produira à l’avenir de plus en plus d’Intifadas, et pourquoi Israël va
perdre sa légitimité internationale d’une manière exponentielle.
Il a décrit 100 ans de colonisation comme un projet glorieux auquel a
résisté le peuple indigène de Palestine sans autre raison valable que
l’incitation islamique.
Son message aux Palestiniens était clair : acceptez votre sort de
non-citoyens invisibles, détenus dans la plus grande prison sur terre en
Cisjordanie et dans la Bande de Gaza, et de communauté vivant sous un
régime d’apartheid dur, et nous pourrons tous vivre en paix. Toute
tentative de rejeter cette réalité est du terrorisme de la pire espèce
et sera traité en conséquence.
Si, dans ce récit, la personne qui écrit les discours de Netanyahou
essayait de rassurer les musulmans quant au sort du al-Haram al-Sharif
(le noble sanctuaire), c’est le message inverse qui en est sorti. Une
bonne partie de celle de son discours consacrée au al-Haram al-Sharif
était une leçon d’histoire expliquant pourquoi le lieu appartient au
peuple juif.
Et, bien qu’il ait clos cette section par la promesse de ne pas
modifier le Statu quo, la présence de dirigeants d’un parti qui croit
fermement en la nécessité de construire un troisième temple n’était
guère rassurante.
« Jamais ensemble »
Dans son discours, Herzog, dirigeant du parti d’opposition sioniste
libéral, a caractérisé la déshumanisation des Palestiniens d’une autre
façon. Son cauchemar, a-t-il insisté à plusieurs reprises, c’était un
pays où les juifs et les Palestiniens vivraient ensemble.
Par conséquent, la séparation, la ghettoïsation, et les enclaves sont
la meilleure solution, même si cela signifie rétrécir un peu le grand
Israël. « Nous sommes ici, et eux sont là, » répétant le fameux slogan
d’Ehud Barak et Shimon Peres de la fin des années 1990.
Le journaliste sioniste libéral de Haaretz, Barak Ravid, a répété la
vision horrible des sionistes libéraux : si vous avez un état
binational, les agressions à l’arme blanche se produiront
quotidiennement, a-t-il prévenu. L’idée d’un Israël/Palestine libéré et
démocratique pour tous n’a jamais figuré au programme du sionisme
libéral.
Ce désir de ne pas partager la vie avec quoi que soit d’arabe est
une attitude ressentie quotidiennement par les Palestiniens. Plus d’un
siècle de colonisation s’est écoulé et rien n’a changé dans le déni
total de l’humanité des Palestiniens ou de leur droit à cette terre.
C’est la politique israélienne et les actions contre la mosquée
Al-Aqsa qui ont déclenché l’actuelle vague de protestations et
d’attaques individuelles. Toutefois, c’est l’atrocité de l’ethnocide
palestinien croissant, qui dure depuis un siècle, qui en est à
l’origine.
L’Occident a été horrifié par la destruction par l ‘État Islamique
d’Irak et du Levant (EIIL) de joyaux culturels anciens. La destruction
et l’élimination par Israël de l’héritage islamique de la Palestine ont
été bien plus considérables et significatives. Il n’est guère resté une
seule mosquée intacte après la Nakba, et beaucoup de celles qui n’ont
pas été détruites ont été converties en restaurants, discothèques, et
fermes.
La tentative des Palestiniens de faire revivre leur héritage littéraire et théâtral est considéré par Israël comme une commémoration de la Nakba, et est illégale si la personne qui l’entreprend sollicite des fonds gouvernementaux.
Ce dont nous sommes les témoins en Palestine – et continuerons de
l’être – c’est la lutte existentielle du peuple indigène d’un pays
toujours menacé de destruction.
* Ilan Pappe est directeur du European Center of
Palestine Studies à l’Université d’Exeter. Il a publié 15 livres sur le
Moyen-Orient et la Question de Palestine.
Photo : AFP - La révolte de la jeunesse palestinienne - qui n’a jamais connu que l’occupation - atteint aujourd’hui un point de non-retour -
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