Avec la reconnaissance symbolique cette semaine de l’état de Palestine
« à côté de l’état d’Israël » au Royaume-Uni, le débat vieux de
plusieurs décennies a été relancé. Les avocats dans la communauté
internationale d’une solution à deux états et les inconditionnels des
Accords d’Oslo font briller leurs chaussures et ressortent leurs vieux
costumes.
Dans le même temps, un théoricien et
un intellectuel américano-palestinien à la sagesse proverbiale doit se
retourner dans sa tombe... Edward Saïd l’avait dit il y a bien longtemps
et cela ne pourrait être plus juste aujourd’hui : « La question, je
crois, n’est pas de savoir comment trouver les moyens de les maintenir
séparés, mais de voir s’il est possible pour eux de vivre ensemble et
aussi paisiblement que possible. »
Ceux qui préconisent la séparation sont ignorants des complexités des
relations israélo-palestiniennes à l’extérieur et à l’intérieur
d’Israël. Le paradoxe des politiques d’apartheid en Israël, c’est que
celles-ci veulent imposer la séparation entre les colons et les natifs,
mais en poursuivant simultanément une expansion qui force l’interaction
et dans certains cas, l’intégration.
Quelques députés britanniques britanniques ont affirmé dans leurs
discours qui ont précédé le vote, qu’il était impossible de croire à une
solution à deux états. Ils semblent avoir une très bonne compréhension
du niveau de monstruosité atteint par l’occupation et de jusqu’à quel
point les colonies de peuplement sont devenues écrasantes dans des
territoires qui devraient être palestiniens.
Cependant, les « amis d’Israël » et les sionistes en général sont
parvenus à infléchir une initiative même non contraignante et symbolique
de reconnaissance de la Palestine, la transformant en reconnaissance
conditionnelle attachée à une solution à deux états.
Avec la crise de légitimité à laquelle Israël dot faire face au
niveau international, une chaude et importante discussion a lieu entre
les groupes sionistes - particulièrement l’AIPAC [American Israel Public
Affairs Committee]. Quelques sionistes voient dans une solution à deux
états une légitimation permanente et incontestée de l’état juif, à
condition de maintenir en état de faiblesse et d’instabilité chroniques
un état palestinien voisin. D’autres dans les cercles sionistes
rejettent absolument toute idée de rendre des territoires puisqu’ils
peuvent en voler autant qu’ils veulent et sans la moindre répercussion.
À un moment où les manœuvres politiques coloniales et le discours
sectaire et démagogique dominent le conflit, de nombreux chercheurs
juifs et palestiniens ont mutuellement insisté pour défendre la seule et
unique solution à la crise. Comme Edward Saïd l’a explicité, Oslo « a
préparé le terrain pour la séparation » tandis qu’une paix permanente
n’est possible que dans le cadre d’un état israélo-palestinien
binational.
L’historien et écrivain Tony Judt a défendu l’idée dans son livre
« Israël : l’alternative » qu’ « une véritable alternative au
Moyen-Orient dans les années à venir sera entre un Plus Grand Israël
ethniquement nettoyé et un état unique et intégré, binational avec les
Juifs et les Arabes, les Israéliens et les Palestiniens. »
L’ex-maire adjoint de Jérusalem, Meron Benvenisti, estime que les
Israéliens et les Palestiniens vivent déjà dans « une réalité
binationale ». Hannah Arendt, Martin Buber, Judah Magnes, Ilan Pappe, et
beaucoup d’autres voix juives importantes ont plaidé pour un état
binational. Tandis que beaucoup de monde considère l’occupation comme
irréversible, de plus en plus nombreux sont ceux qui considèrent que la
seule solution viable qui subsiste est la coexistence.
Dans un contexte moderne, la coexistence ne signifie pas une culture
imposée. Pourtant dans le cadre du conflit israélo-palestinien, elle
l’est. Les raisons sont non seulement liées aux intérêts d’une élite et à
l’inertie de la politique internationale, mais également aux idéologies
qui conduisent les deux côtés du conflit.
Edward Saïd a présenté la revendication d’une Palestine
« principalement et exclusivement » arabe, comme une construction
nationaliste et une simplification radicale « d’une terre chargée de
beaucoup d’Histoire ». Ce n’est pas alimenter le mythe sioniste que de
dire cela, mais plutôt reconnaître la riche nature multiculturelle,
multi-ethnique et multi-religieuse de cette Palestine perpétuellement
menacée par l’hégémonie sioniste.
Dans une position réaliste mais forte de principes, Saïd admet que
les revendications des deux protagonistes d’une terre « promise par
Dieu » aux Juifs et d’une terre arabe appartenant aux Palestiniens
doivent « être réduites en importance et vidées de leur exclusivisme ».
Ceci peut être fait tout en préservant la culture juive et la culture
palestinienne, et ainsi que celles de tous les autres groupes de moindre
importance dans l’intervalle.
Si ce n’est ni une terre exclusivement juive, ni une terre
exclusivement arabe, alors qu’est donc la Palestine et comment peut-elle
être un un-état binational offrant une solution qui peut durer ? Alors
que plusieurs exemples dans l’histoire contemporaine peuvent inspirer le
processus de construction d’un seul état, le cas de la Palestine-Israël
reste singulièrement complexe à cause de sa longue histoire, de la
gravité des dommages infligés, de la réalité coloniale et du
déséquilibre des forces en présence.
Selon Saïd, la caractéristique sociale la plus importante pour un
seul état en Palestine serait la pratique de la citoyenneté dans un sens
moderne du terme. En d’autres termes, en partageant des droits et des
responsabilités en vertu d’une loi qui traite tous les individus sur un
pied d’égalité, la citoyenneté s’impose alors par rapport au chauvinisme
ethnique et religieux. Quand les mêmes privilèges, ressources, et
opportunités seront disponibles pour tous, les idéologies nationalistes
et les dogmes d’exclusion disparaîtront d’eux-mêmes.
Afin de favoriser le développement par les citoyens d’une nouvelle
culture, Saïd suggérait de rédiger une constitution et une déclaration
des droits qui reconnaissent le droit à l’autodétermination des deux
peuples - comme dans le droit d’adopter librement une vie commune en
vertu de la loi.
La question la plus ardue qui a compliqué un processus de paix déjà
insoluble est celle de Jérusalem. La complication provient du rejet
sioniste d’une alternative laïque régissant la vie sur la terre des
religions sémitiques - le Judaïsme, le Christianisme, et l’Islam. Il est
essentiel que les deux peuples admettent que leur existence devra se
faire sous des règles laïques qui ne minent ni ne menacent le rôle si
important joué dans leurs vies par leurs différentes croyances
religieuses.
Jérusalem sera, dans un état binational et laïc, la capitale de tous
avec un libre et égal accès pour tous. La capitale, comme le reste de la
Terre Sainte, devra être protégée et régie en vertu de lois laïques qui
protègent les droits civiques et juridiques de ses habitants.
Cette alternative humaniste dont Saïd - comme beaucoup d’autres
intellectuels des des côtés - a montré la voie, représente une
alternative à une séparation coloniale indigne et/ou à une guerre
permanente. Car comme Tony Judt l’a écrit, il est temps de « penser
l’impensable ».
http://www.middleeasteye.net/column...
Traduction : Info-Palestine.eu - Claude Zurbach
Photo : Le Professeur Edward Saïd préconisait la construction d’une nation qui préserverait les deux cultures : juive et palestinienne
Info Palestine
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