Maurice Ulrich
Le
document de travail secret du ministère représente une offensive contre
tous les secteurs de l’activité culturelle. La recherche systématique
de réduction d’emploi et de coûts le conduit à s’inquiéter des risques
sociaux.
Le
document est explosif. La contribution du ministère de la Culture pour
l’horizon 2022, dont nous poursuivons la révélation, est marquée par la
recherche systématique de réduction d’emploi et de coûts couverts par
l’appel à l’autonomie des établissements et leur prise en charge par les
collectivités territoriales. Dans chacun des secteurs se dessine aussi,
qu’il s’agisse des musées ou des lieux du spectacle vivant, une forte
incitation à une révision à la baisse des ambitions culturelles sous
couvert d’une rotation plus rapide et d’une réponse mieux adaptée aux
attentes supposées des publics. Le Monde révélait hier, dans son édition
datée de mercredi, les grandes lignes de la réforme de l’audiovisuel,
largement guidée par une volonté de réduction des coûts et des
ambitions, comme de compression du personnel. La réaction de la ministre
de la Culture, Françoise Nyssen, ne s’est pas fait attendre. Elle
annonce son intention de porter plainte contre X devant cette mise au
jour de ses projets. Le directeur de la rédaction du Monde a
rendu public un communiqué cinglant : « Cette démarche est inquiétante,
encore plus venant de la ministre de la Culture, chargée de la
communication. Car, si son entourage assure que la plainte ne vise pas
le Monde, elle cible, de façon évidente, nos sources d’information en
cherchant à les tarir par la menace de poursuites judiciaires. Une
culture du secret en opposition complète avec la défense de la liberté
de la presse et de la protection des sources. »
On se souvient que la ministre du Travail, Muriel
Pénicaud, avait également porté plainte en juin à l’occasion de
révélations sur la réforme du Code du travail. C’est dire que la
transparence n’est pas le fort d’une équipe gouvernementale qui préfère à
l’évidence que ses réformes soient élaborées en l’absence de tout débat
démocratique. Cette passe d’armes entre Mme Nyssen et le Monde
vient en tout cas ternir l’image de la ministre de la Culture, qui
semble présider ici à un vaste plan qui va bien au-delà de
l’audiovisuel. Car c’est bien ce qu’attestent les documents qui nous
sont également parvenus et qui constituent la contribution ministérielle
en date du 3 novembre aux « travaux du CAP 2022 ».
Le document présente cinq projets de réformes touchant à
l’administration centrale, au champ muséal, aux aides à la création, à
la politique des archives et donc à l’audiovisuel ou médias de service
public.
D’emblée le préambule qui trace les grandes lignes de ces
réformes pose problème en postulant d’abord « une montée en puissances
des collectivités territoriales qui investissent davantage dans
l’animation de la vie culturelle locale », ce qui va totalement à
l’encontre des réductions de crédits observées à tous les échelons et de
la baisse annoncée des dotations. La conséquence en serait, ce qui
redouble le problème, la possibilité de créer « des échelons
déconcentrés et des opérateurs dotés d’une grande autonomie de
gestion », aussi bien que « des dispositifs d’intervention et de soutien
à la création simplifiés et concentrés, davantage orientés vers la
diffusion et l’élargissement des publics ». En traduction libre, on
pourrait dire à quelque chose près, débrouillez-vous et soyez rentables.
Administration centrale : baisse des effectifs
L’organisation du ministère est jugée insuffisamment
adaptée à l’évolution de son environnement. Il s’agirait donc de la
recentrer sur quelques missions en même temps que de la décentraliser et
d’externaliser d’autres missions. Une perte de près de 350 emplois en
découlerait. Mais les rédacteurs du projet ont aussi prévu les
conséquences et la méthode. Ils écrivent noir sur blanc dans une case du
document : « Risques : risque social important (baisse des effectifs de
l’administration centrale) à considérable (externalisation fonctions
d’accueil) ». Ou encore : « Conditions de succès : annonce rapide de la
stratégie de transformation ».
Musées nationaux : atomisation et autofinancement
Les musées nationaux sont invités au chapitre
« Explicitation des gains attendus » à développer leurs ressources
propres avec « un renforcement de leur autonomie ». D’autres seraient
purement et simplement transférés aux collectivités territoriales ou
intégrés à d’autres ministères. Pour ce qui concerne la RMN (Réunion des
musées nationaux), il est préconisé de la recentrer sur « les activités
commerciales et l’exploitation du Grand Palais » de manière à répondre à
l’évolution du secteur concurrentiel : Fondation Vuitton, Fondation
Pinault, Culturespaces. Il s’agirait également, et dans cette logique, de
rassembler toujours un public plus large en équilibrant économiquement
les expositions. En d’autres termes, la RMN et les musées nationaux sont
invités à entrer dans une course à l’échalote avec le secteur privé. Là
encore, le document met en garde contre les risques : « Sensibilité
sociale forte » avec la transformation «des agents de droit public en
agents de droit privé».
Spectacle vivant : l’Opéra et la Comédie-Française à la diète
Le document demande une augmentation des représentations
« afin d’attirer de nouveaux publics tout en amortissant mieux le coût
des spectacles et des expositions ». Cela en adaptant mieux « l’offre de
spectacle aux attentes du public et des collectivités ». Dans cette
perspective, il est constaté que sont en œuvre « des conventions
collectives et des accords salariaux qui rigidifient l’organisation du
travail ». Il s’agit donc de mettre en œuvre plus de polyvalence, de
faire évoluer le modèle économique et social des établissements et dans
ce cadre de réviser particulièrement « les régimes spéciaux de l’Opéra
et de la Comédie-Française », comme de réfléchir au statut de l’Ensemble
intercontemporain (créé par Pierre Boulez – NDLR). Le risque social est
signalé comme « très élevé ».
Archives nationales : le tri sélectif
La proposition majeure est sans ambiguïté : « Réduire le
champ d’archivage aux documents essentiels ». Les archives nationales,
celles d’outre-mer et celles du monde du travail, seraient regroupées en
un seul service. Sept millions d’euros annuels seraient attendus d’une
réduction de 10 à 20 % du flux de la collecte et d’une réévaluation de
kilomètres d’archives.
Deux facteurs de risques sont identifiés : « Une mobilisation des historiens. Risque social en interne ».
Le Syndicat national des entreprises artistiques et
culturelles (Syndeac) a réagi, dès hier, « ce gouvernement veut aller
vite (…) son attitude est arrogante et somme toute ridicule : vouloir
changer sans l’appui des gens concernés est voué à l’échec (…) cette
première étape du CAP 2022 est scandaleuse dans sa méthode comme dans
ses propositions ».
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