jeudi 12 octobre 2017

Catalogne : premier pas vers une « tribalisation » de l’Europe ?


Victor Ayoli

Des coups de triques contre des bulletins de vote… Craignos, Rajoy ! 

La manière rappelle les plus sombres heures fascistes – la droite espagnole semble, hélas, renouer avec son passé franquiste – et vise plus à l’intimidation cynique qu’au rétablissement de l’état de droit. Qu’espère-t-il Rajoy ? Que la disproportion de la répression radicalise les Catalans afin de pouvoir les réprimer plus durement ? Calcul d’apprenti sorcier dans un pays qui a connu l’une des plus terribles guerres civiles.
Pourtant le jusqu’au-boutisme des indépendantistes catalans ne laisse que peu de possibilités au gouvernement central espagnol, sauf à accepter le dépeçage du pays et, par contagion, la tribalisation de l’Europe. Selon les sources catalanes, la participation au « référendum » a été de 43 % et le « oui » à l’indépendance a recueilli plus de 90 % des voix, soit 2,2 millions de suffrages. Invérifiable évidemment en l’absence de toute commission électorale. Mais cela est loin, très loin de faire une majorité et de légitimer une sécession ! L'écrivain Mario Vargas Llosa, prix Nobel de littérature, de nationalité péruvienne et espagnole, n'a d'ailleurs pas mâché ses mots en qualifiant l'indépendantisme catalan de "maladie".
Le gouvernement espagnol a été pour le moins maladroit d’interdire aux Catalans de s’exprimer, d’autant plus que, par ce fait, les opposants à la sécession ne se sont évidemment pas dérangés, ne se sont pas exprimés, ne donnant qu’une base bien étroite malgré les chiffres ronflants à la « victoire » des indépendantistes. Pourquoi n’a-t-il pas couper l’herbe sous les pieds des extrémistes en organisant, légalement, un référendum sur la volonté des habitants de la région espagnole Catalogne de sortir de la nation Espagne, et donc aussi, par répercussion, de l’Europe ? Avec une campagne électorale explicative, permettant de proposer le choix entre la raison et la passion. Mis au pied du mur, les électeurs catalans auraient réfléchi et les indépendantistes auraient perdu ce référendum, leurs propres chiffres (voir plus haut) le montrent. Le problème serait désormais résolu, avec une sortie par le haut.
Au lieu de ça, la droite espagnole au pouvoir, corrompue jusqu’à l’os, et son gouvernement méprisant ont préféré envoyer des flics…
De l’autre côté, les indépendantistes forment une coalition hétéroclite allant des « modérés » de « Junts pel Si » (ensemble pour le oui) aux extrémistes d’ultra gauche de la CUP (candidatura d’unitat popular). Jusqu’à ce dernier dimanche, ils étaient les plus braillards et monopolisaient l’attention des médias en occupant la rue. Mais ce dimanche 8 octobre, les « silencieux » anti indépendantistes ont décidé de ne plus le rester et ont, eux aussi, occupé la rue, pas centaine de milliers.
Dès lors, la possible déclaration d’indépendance unilatérale par le président de la Generalidad catalane, serait (sera ?) une redoutable erreur. Parce qu’à cet acte de sécession Madrid opposera une suspension de l’autonomie catalane, provoquant de fait ce qui sera perçu comme une occupation espagnole de la Catalogne. Le terrible spectre de la guerre civile planera alors, à la merci de dérapages que des provocateurs de tous bords ne manqueront pas d’organiser. Aux fous !
Et l’Europe dans cette histoire ? Brillante par sa quasi-inexistence. Les instances européennes semblent tétanisées devant une question qui met pourtant en jeu l’existence même de l’Union. Alors qu’elle devrait être à la manœuvre pour imposer une médiation aux deux parties, Frans Timmermans, le 1er vice-président de la Commission européenne s’est borné à réduire son intervention à deux points clés : - l’Europe ne reconnaît que l’état de droit ; - elle soutient le gouvernement espagnol et sa répression « vigoureuse » admettant que « la tâche de respecter et de défendre l’État de droit peut parfois nécessiter un usage proportionné de la force ». L’état de droit est un des fondements de l’Europe, mais il y a aussi la défense des droits de l’homme et de la démocratie.
Il faut dire qu’elle a le cul entre deux chaises la commission européenne : depuis longtemps elle œuvre de manière sournoise au démantèlement des puissants États Nations en promouvant son « Europe des régions ». Ceci en préconisant des unions transfrontalières entre Pays basque espagnol et français, Catalogne espagnole et française, Savoie italienne et française, Alsace et Bade Wurtenberg, etc... autant d’entités fondées sur une ethnicité réelle ou fantasmée et surtout un égoïsme revendiqué vis-à-vis des Etats Nations. Le but inavoué est de démanteler encore plus celles-ci au profit d’entités régionales plus petites et donc plus faciles à contrôler !
Ce mouvement indépendantiste est avant tout égoïste : c’est le refus de la solidarité, de « payer pour les autres ». L’écrivain de nationalité péruvienne et espagnole Mario Vargas Llosa, prix Nobel de littérature, a qualifié l’indépendantisme catalan de « maladie ». À ce jeu dangereux, vers quelle Europe va-t-on ? Est-il concevable de laisser la riche Catalogne rejeter le reste de l’Espagne ? L’opulente Italie du Nord, dédaigner le pauvre « mezzo giorno », la Flandre désintégrer la Belgique et se coupant de la Wallonie ? Etc... Le résultat de ce dépeçage sera quelques régions riches entourées d’une multitude de territoires plongeants, seuls, dans la pauvreté. Après quoi les puissances financières, les mafias multinationales dicteront leurs lois à ces petites entités politiques, avec la complicité de la technocratie bruxelloise, des institutions financières et de l’Otan en matière de défense.
Il est vrai que cette Europe-là est celle pour laquelle œuvrent des technocrates élus par personne. Cette Europe dirigée par des « commissaires » dont la majorité a fait ses études… aux USA ! Cette Europe qui a renié ses buts premiers - paix et solidarité – pour les remplacer par la mise en concurrence « libre et non faussée » de tous contre tous. Cette Europe, grosse larve qui s’étale sans colonne vertébrale, sans dessein autre que de devenir le larbin des USA à travers les accords de libre-échange CETA et TAFTA. Cette Europe inféodée par la félonie de ses « dirigeants » aux seuls intérêts anglo-saxons.
Reste la question du pouvoir central espagnol. Quel avenir pour une monarchie désuète, héritière du franquisme ? Le Roi, à une époque, a sauvé la démocratie, mais depuis l’institution royale a été dévalorisée par toutes sortes de magouilles et n’est plus le ferment de l’unité du pays. Il serait peut-être temps, pour les Espagnols, de poser clairement la question de l’abdication du Roi et de l’instauration d’une République fédérale, respectueuse de tous les peuples espagnols.

Dur, dur de faire rêver même des Européens convaincus avec de telles perspectives.

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