Bruno Guigue
Devant l’assemblée générale de l’ONU, vous avez traité M. Bachar
Al-Assad de “criminel” et déclaré qu’il devrait rendre des comptes à la
“justice internationale”.
Infligeant un démenti à ceux qui s’obstinaient
à voir un tournant dans votre politique, vous avez proféré cette
accusation gravissime à l’encontre du chef d’Etat légitime d’un
Etat-membre de l’ONU. Quelle juridiction, Monsieur Macron, vous a-t-elle
habilité à lancer des mandats d’arrêt à l’encontre de dirigeants
étrangers qui, soit dit en passant, pourraient vous en apprendre un
bout ? De quel droit un chef d’Etat européen, représentant l’ancienne
puissance coloniale en Syrie (1920-1946), se permet-il de décerner des
certificats de bonne ou de mauvaise conduite à ses homologues du
Proche-Orient ?
Cette ingérence est d’autant plus consternante que
vous persévérez, comme vos prédécesseurs, dans la complaisance à
l’égard de ces pétromonarchies auxquelles vous vendez des armes qui leur
servent à massacrer le courageux peuple yéménite. Vous dénoncez les
crimes que vous imputez au président syrien, mais vous détournez les
yeux devant ceux des coupeurs de têtes, ces chouchous fortunés de
l’Occident. Les 10 000 morts du Yémen, les 500 000 enfants souffrant de
malnutrition, l’effroyable épidémie de choléra provoqués par les
bombardements saoudiens ne vous troublent pas, ne vous arrachent aucun
remords, et vous voudriez qu’on prenne au sérieux votre indignation à
propos de la Syrie ?
Que le drame syrien ait fait des milliers de
victimes innocentes, que ce bain de sang n’ait que trop duré et qu’il
faille trouver une solution politique une fois éliminé le conglomérat
terroriste, tout le monde le sait. Pendant que vous parlez, les Russes,
les Iraniens et les Turcs réunis à Astana y travaillent. Mais lorsque
vous imputez des crimes à Monsieur Assad, de quoi parlez-vous au juste ?
Dès le printemps 2011, les manifestations contre le gouvernement ont
été polluées par des insurgés ouvrant le feu sur la police. La “Mission
des observateurs arabes en Syrie” s’est rendue sur place du 24 décembre
2011 au 18 janvier 2012 à la demande de la Ligue arabe. Malgré les
pressions saoudiennes, son rapport dénonce les violences exercées par
les deux camps. En Syrie, il n’y a ni bons ni méchants, Monsieur Macron.
Le mythe d’une “révolution pacifique” a fait long feu, et il serait
temps de dire adieu à cette version romanesque.
Préméditée par les
sponsors de l’opposition, cette guerre résulta d’une tentative de
subversion de l’Etat syrien. Le régime baasiste avait ses défauts, mais
la Syrie était un pays désendetté, productif, où coexistaient
populations et confessions d’origines diverses. Les manifestations les
plus imposantes, en 2011, furent en faveur du gouvernement et des
réformes. Imputer la responsabilité de la guerre à un gouvernement
confronté à une insurrection armée soutenue par l’étranger, c’est tordre
le cou à la réalité. C’est retenir certains faits parce qu’ils servent
la narration qu’on veut défendre. Cessez, Monsieur Macron, de faire le
tri parmi les faits comme vous le faites parmi les victimes ! Cruelle
comme toutes les guerres, celle-ci a connu son lot d’exactions. Mais qui
en porte la responsabilité, sinon ceux qui voulaient prendre Damas pour
y instaurer la charia wahhabite avec l’aide des EU, de la France, de la
Grande-Bretagne et des rois du pétrole ?
Même dans les bilans
publiés par l’OSDH, organisme proche de l’opposition, 40% des victimes –
dès l’été 2011 – appartenaient aux forces de sécurité, 35% aux groupes
armés et 25% aux civils pris au piège d’un affrontement généralisé. Si
une guerre pouvait épargner les civils, cela se saurait. La guerre que
la France soutient au Yémen ne le fait guère, pas plus que les
bombardements occidentaux sur Mossoul ou Raqqa. Mais accuser l’armée
syrienne de commettre délibérément des crimes contre sa propre
population est une insulte au bon sens. Cette armée est une armée de
conscrits qui défend le territoire national contre des hordes de
fanatiques. Pendant que vous pérorez à l’ONU, Monsieur Macron, les
“soldats de Monsieur Assad” franchissent l’Euphrate pour régler son
compte à Daech.
Bien sûr, en guise de carte maîtresse dans ce jeu
d’illusionnistes, il vous reste encore le “false-flag” chimique pour
faire tourner les rotatives de la manipulation. Exploitant ce
roman-feuilleton made in CIA, vous avez même prétendu fixer une
“ligne rouge” ! Qu’une expertise du prestigieux MIT ait démontré que
l’attaque du 21 août 2013 ne pouvait venir que de la zone rebelle vous
importe peu. Que les mêmes experts américains aient dénoncé la vacuité
du dossier accusant Damas à propos de Khan Cheikhoun (avril 2017) ne
vous ébranle pas davantage. Pas plus que vous n’avez lu la remarquable
enquête publiée par le meilleur journaliste américain, Seymour Hersch,
qui met en pièces la version d’une attaque chimique de l’armée syrienne.
Méfiez-vous,
M. Macron, parce que cette farce chimique, véritable mantra de la
propagande occidentale, finit par donner la nausée. Elle détrône au
palmarès du mensonge d’Etat le précédent de Colin Powell brandissant sa
fiole au Conseil de sécurité de l’ONU. Chaque jour qui passe, elle perd
son pouvoir d’ensorcellement. Ceux qui y croient encore sont ceux qui
veulent y croire, ou qui pensent que les gouvernements occidentaux ne
mentent jamais. Mais la majorité du peuple syrien n’y croit pas, et
c’est l’essentiel. Lorsqu’une zone est libérée par l’armée, les réfugiés
s’y réinstallent, la vie reprend, l’espoir renaît. Faire des moulinets
avec vos petits bras à la tribune de l’ONU n’y changera rien, et ce
bavardage inutile se perd déjà dans le brouhaha médiatique. Votre
“groupe de contact”, Monsieur Macron, est un gadget mort-né dont on ne
parlera plus sous huit jours.
Car qui écoute encore la présidence
française, au juste ? Cette présidence – peu importe le titulaire – qui
dès 2011 a diabolisé le gouvernement syrien, qui a porté aux nues les
traîtres à leur pays déguisés en opposants, qui a cautionné la violence
de l’opposition armée, qui a encouragé les départs de terroristes vers
la Syrie, qui a fermé le Lycée français de Damas, qui a refusé la
coopération sécuritaire avec les services syriens, qui a livré des armes
aux groupes extrémistes, qui a refusé de combattre Daech quand Daech
combattait Damas, qui a appelé au meurtre d’un chef d’Etat légitime, qui
a infligé au peuple syrien un embargo sur les médicaments, cette
présidence qui a bafoué le droit international et renoué avec le pire
des néo-colonialismes, en effet, qui l’écoute encore ?
En choisissant de
s’immiscer dans les affaires des autres, la France s’est mise hors jeu.
Laissez tomber, M. Macron, vous êtes “out”.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire