dimanche 24 septembre 2017

Des métiers à la con !

Olivier Cabanel

Avec la raréfaction des emplois, due au développement des technologies, à la robotisation, voici venu le temps des métiers improbables, voire inutiles, que certains n’hésitent pas qualifier de « métiers de merde ».

En Allemagne, pays où le chômage a baissé drastiquement, remplacé pour une bonne part par la misère, ces « petits métiers » fleurissent, et cette dérive apparait maintenant chez nous.
Un salarié allemand sur quatre souffre du bas salaire, contre, pour l’instant, un sur dix dans notre pays...mais, « loi travail » le voulant, cette proportion devrait mettre bientôt le salarié français au niveau des salariés allemands. lien
Piégés par le système, nos concitoyens sont souvent obligés de pratiquer plusieurs métiers à la fois...ils doivent souvent faire une croix sur ce qu’ils ont appris, sur ce qu’ils savent faire, puisqu’on n’a de moins en moins besoin d’eux dans leur domaine de compétence.
Cette voie sans issue, et dégradante pour le travailleur, a énervé un historien, hollandais en l’occurrence, Rutger Bregman, lequel vient de publier « utopies réalistes  », (éditions du Seuil) ouvrage dans lequel il défend entre autres « le Revenu de Base », l’un des arguments au programme du candidat malheureux de la dernière présidentielle, Benoit Hamon.
Cette utopie dont il faut rappeler qu’elle signifie « lieu impossible du bonheur humain » reste pourtant l’obsession d’une majorité d’humains, et depuis longtemps.
 Le livre de Bregman est en train de devenir un best-seller international, et son succès est justifié, car l’auteur pose les bonnes questions, celles qui dérangent.
« Pourquoi travaille-t-on de plus en plus depuis les années 80 alors que nous sommes plus riches que jamais ? (...) pourquoi souffre-t-on toujours de la pauvreté alors que nos richesses nous permettraient d’y mettre un terme ? 
Et il ajoute surtout : « pourquoi tant de gens sont coincés dans des boulots socialement inutiles ? ».
Au programme de son livre, outre le Revenu de Base, il est question de la réduction du temps de travail, de la lutte contre la pauvreté, de la taxation des flux financiers, de la réduction des inégalités, et de l’ouverture des frontières.
Vaste programme...
Dans la foulée, un anthropologue, David Graeber a publié récemment « Bullshit Jobs » (boulots de merde, littéralement)...et son livre a suscité pas mal de bons échos.
Il remarque judicieusement qu’alors que la robotisation s’impose de plus en plus dans le monde du travail, « la technologie a été manipulée pour trouver des moyens de nous faire travailler plus  » en concluant : « c’est comme si quelqu’un inventait tout un tas d’emplois inutiles pour continuer à nous faire travailler ».
Affirmant qu’on pourrait difficilement se passer d’infirmiers, de dockers, de profs, l’auteur se demande quel est l’intérêt d’avoir des lobbyistes, des consultants, voire des directeurs généraux ?
Comme le dit un chercheur en relation presse : « mon métier consiste à intervenir auprès de la presse pour convaincre les rédactions de parler de tel ou tel objet dans leurs pages (...) très honnêtement j’ai surtout l’impression de passer la journée à jouer les faux-culs... ».
Et Graeber de conclure : « il est paradoxal que le néolibéralisme soit arrivé au même point que les régimes soviétiques de la deuxième moitié du 20ème siècle, en ce sens que de nombreuses personnes seraient employées à ne rien faire ».
Pierre Reverdy écrivait avec humour : « j’ai tellement besoin de temps pour ne rien faire, qu’il ne m’en reste plus assez pour travailler  »...et Paul Valéry lui répondait en écho : « comment faire pour ne rien faire ? Je ne sais rien de plus difficile. C’est un travail d’Hercule, un travail de tous les instants ».
Laissons le mot de la fin à Pierre Rabhi : « l’être humain a véritablement besoin de vie et de temps pour ne rien faire. Nous sommes dans une pathologie du travail, où toute personne qui ne fait rien est forcément un fainéant  ».
Il n’y a pas si longtemps, en France, au 19ème siècle, pour occuper les chômeurs, on leur faisait creuser des tranchées, tranchées qu’ils devaient reboucher ensuite...
Avec un peu d’humour, on peut imaginer que demain nous aurions des « négociants en virage...des marchands en vain... », Il y a eu par le passé tant de métiers bizarres qu’il ne faut s’étonner de rien.
L’occasion de rappeler le rêve utopique brossé par Sébastien Mercier, en 1771, lequel déplaçait au 21ème siècle le temps de la perfectibilité qui accomplirait l’espoir libérateur des lumières sans recourir pour autant à la Révolution.
Son livre s’intitulait « l’an 2440 ou rêve s’il n’en fut jamais », même s’il y aura toujours des railleurs de l’Utopie, comme Jonathan Swift, (lien) ou des Voltaire qui dans son Candide se moquait de l’Eldorado. lien
Plus près de nous, Keynes avait imaginé que les avancées technologiques de notre société nous dispenseraient de travailler plus de 15 heures par semaine d’ici la fin du 20ème siècle...alors que nous avons dans ce pays 9 millions de pauvres, et que la mode est à la « flexibilité du travail  », entendez par là la mise au pas du travailleur, le petit doigt sur la couture du pantalon.
En effet, sur l’air de « si vous n’en voulez pas, d’autres prendront la place... et attendez-vous à voir vos allocations chômage se réduire comme peau de chagrin  », le néo-libéralisme est « en marche »...
Ils sont nombreux à se rendre à l’évidence, le travail est en voie de disparition, et pour éviter d’accentuer la misère ambiante, il faudra bien un jour ou l’autre se pencher sur la question du partage de la richesse.
Car s’il existe déjà un salaire minimum, pourquoi ne pas fixer un salaire maximum, permettant ainsi de partager plus équitablement les richesses produites ?
Le gâteau de la richesse a quasi toujours la même taille, il s’agit seulement de faire des parts plus équitables.
Ce salaire maximum était au programme du candidat de la « France Insoumise », lequel l’avait fixé à 20 fois le salaire minimum, ce qui est bien généreux, (17 700 € brut mensuels) salaire maximum qui ferait inévitablement progresser le salaire minimum. lien
En donnant un pouvoir d’achat accru au citoyen lambda, celui-ci contribuerait rapidement à relancer la consommation... apportant plus de richesses aux entreprises... lesquelles pourraient redistribuer cette richesse... un cercle vertueux donc.
Ce qui n’empêche pas de contester le principe même de la croissance, laquelle a ses limites.
Il restera ensuite à régler la question de la disparition progressive du travail, soit en partageant celui-ci pour un plus grand nombre d’intéressés... soit en prenant du temps à ne rien faire, confirmant ainsi la pensée quasi prophétique de Keynes.
L’économiste Michel Santi ne dit pas autre chose : « il est indispensable de travailler moins pour travailler mieux ». lien
Il rappelle lui aussi l’avènement de la semaine de 15 h prévue par Keynes pour 2030, apportant de l’eau au moulin de John Stuart Mill qui défendait « une société qui laisserait d’avantage de place aux loisirs, afin de s’éloigner de l’évangile du travail ».
Ce philosophe et économiste anglais de la moitié du 19ème siècle, dont les idées ont encore aujourd’hui du mal à traverser La Manche, devrait être considéré de plus près, tant il avait une idée bien précise, entre autres, de la démocratie. lien
À l’époque, il faisait par exemple la promotion de l’extension du droit de vote aux femmes...
Prônant un gouvernement de « tout le peuple », à l’époque où le suffrage universel avait un peu de plomb dans l’aile, le « néo-libéral » Mill défendait un socialisme porté par l’union des classes sociales...
Il n’hésitait pas à déclarer que « le bonheur d’autrui doit l’emporter sur le bonheur personnel, affirmant que le but de l’humanité et le défi de toute société consiste à réduire l’écart entre le bonheur individuel  », confirmant que le bonheur des uns ne peut se construire sur le malheur des autres.
Sujet plus que jamais d’actualité.
Il faut ajouter qu’à l’époque, les libéraux conservateurs, le Duc d’Ayen en tête, redoutaient «  la foule, force aveugle et irresponsable  »...lien (page 31)
Transmis aux futurs manifestants insoumis et autres, déjà qualifiés de fainéants par le nouveau président.
Décidément, cette présidence ne commence pas très bien... alors que son prédécesseur avait qualifié les pauvres de son pays de « sans dents », le nouveau venu les traite de paresseux... voire bientôt d’assistés ?
Il prétend que les français sont contre le changement, alors que, s’ils sont bien d’accord pour le toilettage du code du travail, ils n’acceptent pas pour autant que le fond de cette règlementation soit pour beaucoup transformé au plus grand bénéfice des nantis... fragilisant d’autant le monde des travailleurs.

Comme dit mon vieil ami africain : « la langue qui fourche fait plus de mal que le pied qui trébuche ».

agoravox.fr

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