Les marcheurs espèrent arriver à Jérusalem le 2 novembre pour marquer le centenaire de la déclaration Balfour.
Dans la petite ville d’Al Khadr, près de Bethléem, une famille tente
de trouver des chaises sous les gravats. Ils les essuient, puis invitent
leur hôte à prendre une tasse de thé avec eux.
Submergé par leur
générosité, Justin Butcher s’assied avec la famille et écoute leur
histoire. « Nous sommes coincés ici », lui ont-ils déclaré, « mais quand
tu pars, ne nous oublie pas. Raconte notre histoire aux gens. »
Bien que cet échange ait eu lieu il y a trois ans, Butcher,
dramaturge et directeur créatif, affirme toujours y penser. Avant le
centième anniversaire de la déclaration Balfour, il a travaillé avec
énergie sur le lancement de l’initiative Just Walk to Jerusalem
(« Marche simplement vers Jérusalem »). Le voyage de 3 200 kilomètres
de Londres à Jérusalem est une démonstration de solidarité avec les
Palestiniens qui souligne le rôle de la Grande-Bretagne dans l’injustice
toujours d’actualité dont ils souffrent.
« Ce moment ne m’a
jamais quitté, et j’ai décidé que je devais être leur voix. Et quel
meilleur moyen que de le faire avec une démonstration publique de
solidarité et un pèlerinage de pénitence pour notre rôle dans
l’injustice imposée aux Palestiniens ? », a déclaré Butcher.
Le
voyage de cinq mois commencera samedi depuis le sud de l’Angleterre. Les
participants traverseront la France, la Suisse, l’Italie, la Grèce, la
Turquie et la Jordanie, à partir de laquelle ils suivront une ancienne
route de pèlerinage jusqu’à Jérusalem, où ils entreront le 2 novembre,
100 ans après la déclaration Balfour.
« Il y a un aspect symbolique à cette marche », explique Butcher.
« C’est une sorte de chemin des réfugiés inversé, et, en même temps,
cette marche représente le droit de retour non garanti à tant de
Palestiniens. »
Les marcheurs sont actuellement à Rochester, en route vers Dover, au sud-est du Royaume-Uni.
Une dure réalité
Justin Butcher travaille avec Amos Trust, une petite organisation de défense des droits de l’homme basée à Londres qui organise la marche.
« Il est temps de dire aux gens la vérité pure. Cent ans, c’est bien
trop long pour qu’une injustice puisse continuer, et la plupart des
personnes ne sont mêmes pas informées de notre rôle dans l’histoire. Les
gens veulent la vérité pure, et les conséquences de ce que nous avons
causé au Moyen-Orient sont toujours d’actualité », explique Garth
Hewitt, le fondateur d’Amos trust.
« Nous devons montrer aux Palestiniens que nous reconnaissons cette injustice que nous avons commise contre eux. »
Le 2 novembre 1917, le ministre des Affaires étrangères de l’époque, Arthur James Balfour, a déclaré :
«
Le gouvernement de Sa Majesté envisage favorablement l'établissement en
Palestine d'un foyer national pour le peuple juif, et il emploiera tous
ses efforts pour faciliter la réalisation de cet objectif, étant
clairement entendu que rien ne sera fait qui porte atteinte aux droits
civils et religieux des communautés non juives de Palestine. »
Sur
ces quelques mots, le paysage du Moyen-Orient a été complètement
transformé. Il est rare qu’un document ait pu avoir des conséquences
aussi profondes, qui ont remodelé la région pour les années à venir. Des
milliers de Palestiniens ont été dépossédés de leurs biens et exilés,
et jusqu’à présent, les colonies continuent de s’étendre sur les
territoires occupés de la Cisjordanie.
« La première partie de la
déclaration Balfour a été mise en œuvre, très bien, mais la seconde
partie, celle qui promet de ne pas enfreindre les droits des
Palestiniens, a été complétement ignorée », a souligné Hewitt. « Nous
devons appeler le gouvernement à reconnaitre l’État de Palestine, et à
s’assurer que les droits des Palestiniens sont respectés. »
« J’aurai souhaité en faire plus »
Plus de
120 personnes participent au voyage, certains rejoindront à différents
moments. David Cuschieri, l’un des marcheurs, fera le voyage en entier,
mais il ne vient pas de Londres. Auteur australien et activiste, il a
fait un voyage spécialement pour rejoindre la marche.
Il explique à MEE qu’il a pris l’avion entre l’Australie et
Londres pour cette marche, et explique, avec sincérité, « J’ai visité
Israël il y a 24 ans… Vous pourriez dire que j’ai été personnellement
témoin de l’injustice qui s’y passe ».
« C’est une opportunité
unique vous savez. Les gens trouveront de nombreuses raisons pour ne pas
partir maintenant, pour ne pas prendre une pause de cinq mois, mais
vous ne voulez vraiment pas vous retrouver en train de vous dire
‘‘J’aurais souhaité en faire plus’’. »
Au cœur de Londres, les marcheurs et leurs familles se sont rassemblés pour le lancement officiel. Le groupe palestinien 47 Soul
leur a dit adieu avec une ode à Jérusalem, « From London to Jerusalem,
I’ll walk » (« De Londres à Jérusalem, je marcherai »). Un mélange
cosmopolite, ils rappent en anglais et en arabe, avec des chansons de
leur nouvel album « Balfour Promise ».
Tim Hagyard, un géographe et bloggeur, et sa femme Denise, un vieux
couple, sont des vétérans des marches de longue distance. Ils pensent
réussir à marcher jusqu’au bout.
« La marche est facile », rigole Denise, « mais il faut voir pour notre relation ! »
Denise,
qui a grandi aux États-Unis pendant une période de troubles sociaux,
explique que l’injustice lui est familière. « Vous devez faire ce qui
selon vous est la bonne chose. »
Jack Rose, 17 ans, est l’un des plus jeunes marcheurs de l’initiative.
Il a pris une année sabbatique, et espère également marcher jusqu’à
Jérusalem. « C’est la bonne chose à faire, vraiment », explique-t-il.
Le directeur d’Amos Trust, Chris Rose, décrit comment la déclaration
Balfour était un acte de colonisation, basé sur le racisme, et faisait
fi des droits des Palestiniens qui constituaient plus de 90 % de la population à ce moment.
« La
marche est divisée en étapes, et nous nous coordonnons avec différents
bénévoles de différents pays. C’est un peu délicat car cela demande
beaucoup de confiance, et plus particulièrement quand une partie de
l’organisation n’est pas entre vos mains. »
« Tout devrait bien se
passer, au moins jusqu’à la Cisjordanie. Nous avons nos bénévoles sur
place et quelques événements sont organisés par des groupes palestiniens
avec lesquels nous nous coordonnons », explique Rose.
« Malheureusement,
nous ne pourrons pas nous rendre à Gaza, mais nous espérons nous en
rapprocher le plus possible, jusqu’à ce que les forces israéliennes nous
en détournent », ajoute-t-il. Gaza est sous blocus israélien depuis
2007.
Le voyage prendra fin à la cathédrale St George de
Jérusalem. « Puisque nous venons du Royaume-Uni, et parce que notre
histoire a commencé ici, c’était le lieu parfait pour mettre fin à notre
marche », explique Rose.
Rose et Hewitt racontent des événements qui ont eu lieu en 1965, lorsque le rabbin Abraham Heschel a marché aux côtés de
Martin Luther King à Selma (Alabama) pour appeler au droit de vote.
Heschel a déclaré à ce moment : « J’avais l’impression que mes jambes
priaient. »
Selon Rose et Hewitt, cette marche à Jérusalem est un
clin d’œil à la déclaration saisissante d’Heschel. « Cette marche est
symbolique à de nombreux niveaux. Il s’agit non seulement d’un acte de
pénitence pour l’échec du Royaume-Uni de garantir les droits des
Palestiniens depuis 100 ans, mais aussi d’un rappel du nombre de
Palestiniens qui n’ont pas de liberté de mouvement. »
Une prière inspire ce mouvement, Rose la partage et dit espérer qu’elle soit lue toutes les nuits.
« Nous marchons ce jour avec ceux auxquels la liberté est refusée
Nous marchons avec ceux qui ont fui la guerre, la torture et le désespoir
Nous marchons en pénitence pour les promesses non tenues et les réparations politiques »
Cette prière se termine par un refrain latin populaire, explique Rose, Ambulando Solvitur (cela sera résolu par la marche).
Bien
que ce soit une douce illusion d’espérer que l’injustice à laquelle
font face les Palestiniens soit résolue par la marche, c’est un pas en
avant.
Selon ses organisateurs, tandis que des chrétiens, des
musulmans et des juifs se rassemblent dans leur quête de justice, les
mots de Mother Pollard, conseillère de Martin Luther King Jr, seront
dans leur esprit lorsqu’ils entreront dans la Ville sainte : « Mes pieds
sont las, mais mon âme est reposée. »
Traduit de l’anglais (original).
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