mercredi 5 mars 2014

Cette guerre que (presque) tout le monde attend

Caleb Irri              

Elle va bien finir par arriver cette guerre. Nombreux sont ceux qui la redoutent, mais plus nombreux encore sont ceux qui l’attendent. Pas pour les morts bien sûr, ni pour les misères et les destructions qu’elle engendre non plus… encore que ! Car en définitive tout le monde (ou presque) sera satisfait : l' économie va enfin pouvoir repartir, et la croissance reviendra après.

Je souligne le « ou presque » par acquis de conscience mais c’est bien l’ensemble du monde capitaliste qui s’en portera mieux. Car il est dans la nature même du capitalisme de conduire à la guerre ( vous ne le saviez pas peut-être ?) : comme une  saignée nécessaire pour « relancer la machine »… Imaginez des millions de morts, de blessés, et puis toutes les infrastructures détruites. La conscription, l’état d’alerte ou l’état d’urgence, « l’union sacrée » ! et puis aussi la relance de l’emploi à travers « l’effort de guerre », quelle opportunité pour la « croissance » !
Finies les dettes à rembourser aux « ennemis », finie la démocratie qui empêche les dirigeants de faire ce qu’ils souhaitent et qui autorise les citoyens de se plaindre sans cesse… Cette satanée « démocratie » qui nuit aux affaires et cet internet qui autorise la divulgation des « petits arrangements » de nos dirigeants doivent disparaître avec la guerre, car seule la dictature permettra la relance économique à travers la « compétitivité » offerte par l’esclavage. Et les destructions engendrées par la guerre sont autant de marchés qui seront à prendre au plus méritant (le plus fort donc).
Il faut bien comprendre que le « retournement du capitalisme » auquel nous avons assisté les dernières décennies ne laisse pas trop de choix : n’étant plus en mesure de dominer le monde par la puissance financière (en réalité il n’y a plus d’argent), les pays dits « puissants » ne le sont plus que grâce à la force brute ; et la guerre est désormais pour eux le seul moyen de conserver leur statut international. Et pour nous de conserver notre « niveau de vie »…
Car après tout nous pourrions encore éviter le chaos qui vient : en remettant de l’ordre dans la finance, en supprimant tous les avantages concurrentiels dont nous nous sommes emparés dans l’Histoire (par la force et par la ruse), nous pourrions alors redonner à chacun la place qu’il devrait « logiquement » avoir. Au prix bien sûr d’une baisse drastique de notre confort de vie. Mais qui est prêt pour cela ?
Et c’est là qu’on revient à mon titre quelque peu provocateur : nous devinons tous, à la vue des inégalités scandaleuses provoquées par ce système (quand on pense que 85 personnes possèdent la même richesse que 3,5 milliards d’autres personnes -plus de la moitié des êtres humains que compte cette terre !), que nous avons dépassé toutes les limites acceptables. Et nous savons tous également que sans la remise en cause du système qui crée ces injustices, la guerre reviendra toujours pour redistribuer régulièrement les cartes du monde. Mais comme nous n’avons toujours rien créé de mieux pour nous gouverner, nous préférons sauver un système injuste, au prix de la guerre, que de nous risquer à inventer une alternative démocratique capable de s’opposer à la dictature qui viendra avec. Surtout si c’est pour payer plus cher, non ?
Tant que nous refuserons de nous confronter à la question d’un système « sans argent », nous sommes condamnés soit à la guerre, soit à la dictature : la guerre conduit à la dictature et la dictature conduit à la guerre.
Mais ne vous réjouissez pas trop vite, car pour que l’une apparaisse, il faut que les conditions de l’autre soient présentes. Et tant que le système ne s’effondrera pas totalement, nos dirigeants fourbiront leurs armes avec tout l’argent qu’ils pourront engranger jusque là. Ce qui signifie que tant que notre épargne, nos derniers droits sociaux ou notre liberté d’expression, ne seront pas totalement remis en cause, il leur reste du boulot : nous allons donc assister d’ici peu à un renforcement des mesures sécuritaires, une accélération des législations liberticides, un approfondissement des politiques d’austérité, une montée des peurs et des violences…
Et puis quand tout le monde sera prêt, les festivités pourront alors commencer ; quand un des « gros » ne pourra plus tenir sa bourse, ou sa population, ou son armée… Nous aurons beau dire que nous ne la voulions pas cette satanée guerre, mais nous l’attendions quand même… Car au lieu de se mettre au boulot pour réfléchir au futur que nous offrirons à nos enfants, nous avons été les victimes consentantes d’ignobles individus qui ne travaillent qu’à la perpétuation de leur propre pouvoir. Et coupables de les avoir élus, au mépris de leurs agissements criminels dont nous avons tout de même de manière complice bénéficié, en privant consciemment les autres peuples des avancées dont nous avons hérité de toutes les guerres précédentes.

Et surtout en préférant continuer ainsi : puisqu’on ne peut pas supprimer le capitalisme, autant que nous restions les maîtres n’est-ce pas ? Et cela même si, paradoxalement, c’est au prix de notre propre liberté.

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