samedi 14 décembre 2013

Dépenses publiques : dérive ou choix légitime....

Robert Gil        


Etat, collectivités locales et autres administrations publiques françaises dépensent chaque année l’équivalent de 56 % du produit intérieur brut (PIB), selon les données 2011 d’Eurostat. Un chiffre qui classe notre pays au deuxième rang de l’Union Européenne, derrière le Danemark (57,6 %), et 6,5 points de PIB au-dessus de la moyenne de la zone euro (49,5 %).

Mais que veulent vraiment dire ces chiffres ? Ils ne sont pas le signe que nos services publics coûtent plus cher qu’ailleurs, mais que, pour l’essentiel, notre pays a opté pour une réponse collective et moins inégalitaire aux besoins sociaux, quand d’autres laissent faire le marché.
Ce qui détermine le niveau de vie d’un contribuable européen est ce qu’il va débourser pour tel ou tel service, et pas simplement son revenu après impôts. En effet, si vous êtes imposés, c’est aussi pour bénéficier de services ou de prestations. Ce qu’une famille anglaise verse en moins à la collectivité par le biais des impôts, elle le paie bien souvent par d’autres canaux, pour la retraite ou l’école des enfants,  car elle passe par un système marchand  privé. Si la France dépense plus, c’est parce que la protection sociale est davantage qu’ailleurs prise en charge par des organisations non marchandes. À cela, il faut ajouter le fait que les dépenses de protection sociale ont un caractère particulier : elles ne constituent qu’une forme de redistribution directe de la richesse. La charge publique est en l’occurrence une recette des ménages : allocations de chômage, logement, familiales, minima sociaux, pensions de retraite.…
Ce n’est donc pas le « train de vie » de l’Etat qui fait la différence. Dans l’esprit général, la « dépense publique » est celle de l’Etat : or, ses dépenses (22,4 % du PIB) sont inférieures à la moyenne de la zone euro (22,6 %), inférieures par exemple à celles du Royaume-Uni (44,8 %, qui n’incluent pas la protection sociale) ou au Danemark (42,3 %). L’écart constaté vient donc principalement des dépenses de protection sociale, alors que le plus souvent c’est l’Etat qui est pointé du doigt.
La France consacre 23,9 % de sa richesse à la protection sociale : cela représente 480 milliards d’euros, l’équivalent de huit fois le budget de l’Education Nationale. La France dépense plus dans un seul domaine : les retraites. Elles représentaient 13,5 % du PIB, contre 8 à 11 % dans la plupart des autres pays en 2011. Nous n’irons pas beaucoup plus loin, car il est bien difficile de dire ce qui détermine cet écart. La France est l’un des pays où les cohortes de nouveaux retraités pèsent le plus lourd du fait d’un double facteur : l’ampleur et la durée inégalées du baby-boom dans l’Hexagone, ainsi que la progression du taux d’activité féminin. En outre, notre espérance de vie est parmi les plus élevées.
Mais attention, si l’on ne prend en compte que les systèmes de retraites obligatoires, le taux de remplacement est plutôt élevé en France : 60 %, contre 54 % en Allemagne et 37 % au Royaume-Uni, selon les données de l’OCDE. Mais si l’on intègre les systèmes volontaires, alors la France est en retard. Ce qu’un salarié français paie en plus en cotisations, il le verse en moins en épargne retraite. Une situation qui a le double avantage d’être plus égalitaire et moins risquée.
Les performances sociales de l’Hexagone suggèrent que ses services publics ne sont pas aussi inefficaces qu’on voudrait le faire croire. Le système de santé n’est pas tout à fait étranger à l’espérance de vie des femmes françaises, qui est l’une des plus élevées de la planète. La pauvreté – en particulier celle des personnes âgées – est en France parmi les plus faibles au monde, notamment parce que notre système protège les plus démunis (personnes âgées, familles monoparentales, familles nombreuses…).
Enfin, si la qualité des services publics était si mauvaise, comment expliquer l’attachement de la population au modèle social en vigueur ? Année après année depuis dix ans, le baromètre de l’opinion des Français sur la santé et la protection sociale, réalisé par le ministère des Affaires sociales, indique que plus de la moitié de la population (53 % en 2012) estime que l’Etat n’intervient pas assez sur le plan économique et social, contre 20 % qui pensent l’inverse. Plus directement, 64 % jugent normale la part du revenu national consacré au financement de la protection sociale, contre 17 % qui le jugent excessif et 16 % insuffisant. Plus de 92 % des Français estiment que les systèmes de retraite ou d’assurance maladie doivent rester publics.
Au fond, la question qui se pose est celle de la capacité de notre modèle social à répondre aux besoins avec des outils de qualité et à évoluer en fonction de ces besoins. C’est là-dessus que devrait porter le débat de fond sur les dépenses. Sans être miraculeuses, des économies sont possibles, a rappelé la Cour des comptes dans son rapport publié en 2013. On pourrait supprimer les organismes consultatifs inutiles et revoir les compétences qui font doublon au niveau local, ou  réviser des contrats de commandes publiques très lucratifs pour le privé. On pourrait aussi, par exemple, supprimer bon nombre de niches fiscales (autant de dépenses non présentées comme telles) ou lutter davantage contre la fraude fiscale.
Sauf à attendre une reprise miracle et durable de la croissance, c’est la seule manière de dégager de nouvelles marges pour répondre aux besoins sociaux : créer davantage de places en crèche, construire des logements sociaux, investir dans l’éducation, accueillir dignement les personnes âgées dépendantes, etc.Autant de domaines où l’intérêt de dépenses supplémentaires est reconnu au-delà des clivages politiques.

Mais soyons conscients que, si c’est le marché qui répond aux besoins, les moins favorisés seront pénalisés.




Aucun commentaire: