Khaled Gaiji, Charlotte Nenner et Antonin Moulart
"La liberté d’intrusion de la publicité s’oppose clairement à la liberté de
réception de l’internaute, le tout au nom d’une fausse gratuité"
En janvier 2013, le fournisseur d’accès internet Free avait bloqué par défaut la
publicité pour ses clients pendant quelques jours, protégeant plus de 5 millions
d’internautes de l’agression publicitaire. Cette mesure courageuse répondait à
une préoccupation importante des Français ; la publicité est en effet considérée
par la majorité d’entre eux comme envahissante (1). Free vient de réactiver
l’option mais sans blocage par défaut, une timide avancée.
Liberté d’intrusion contre liberté de réception
Free, par cette action, a engagé bien malgré elle, un débat sur la pollution
visuelle et mentale due à la publicité sur Internet. Des acteurs du web, très
dépendants de la publicité, se sont offusqués de cette pratique au nom de la
liberté d’expression et d’accès à une information gratuite.
On peut les comprendre : qui va mordre la main qui vous nourrit ? Car ces
acteurs ne font que défendre les intérêts économiques du système publicitaire.
Ils légitiment une liberté d’intrusion d’une publicité qui s’oppose clairement à
la liberté de réception de l’internaute, le tout au nom d’une fausse
gratuité.
Fausse gratuité
L’information véhiculée par ces sites internet dépendants de la publicité
n’est jamais gratuite. La gratuité suppose une absence de contre-partie. Or, un
annonceur achète l’audience d’un site internet - « temps de cerveau
disponible » - pour essayer de capter son attention et espérer un clic sur
sa bannière. Le site vend ses lecteurs à cet annonceur moyennant finance. C’est
pourquoi on a coutume de dire que lorsque l’on ne paye pas le produit c’est que
nous sommes le produit vendu.
Les services en lignes publicitaires ne se contentent plus de vendre le temps
d’attention de leurs lecteurs mais également leurs contributions. Cette
dimension productive des contributeurs est exploitée par l’industrie
publicitaire que représente notamment Facebook, Google ou Twitter. Les
tentatives d’appropriations des contributions par ces services en ligne sont
régulières, on l’a vu récemment avec Instagram (2) qui a tenté de déposséder des
millions de contributeurs de leurs photos.
Enfin, les annonceurs répercutent le prix de leurs campagnes publicitaires
dans le prix des produits vantés. Chacun d’entre nous paye, dans ses achats, le
prix de cette publicité, comme une taxe cachée. On le chiffre, toutes publicités
confondues, à environ 480 € par personne et par an (2).
À cela, on peut ajouter d’autres coûts indirects tels que ceux de la
consommation énergétique et d’exploitation de matières premières rares utilisées
par les ordinateurs et serveurs.
Gaspillage et encombrement
Une des explications de Free pour justifier le blocage des publicités est à
ce titre éclairante : la qualité de leur réseau aurait été touchée par le trafic
de sites internet consommant trop de bande passante. Sur certains sites
d’information en ligne financés par la publicité, la charge de celle-ci peut
représenter entre 30 et 50 % de la page selon les estimations de « Surfez
Couvert ».
Une part non négligeable en termes de consommation énergétique est donc
clairement imputable à la publicité. Et les internautes ne sont pas dupes : 83%
des sondés estiment que la publicité sur Internet dérange la navigation (3).
De plus, la croissance exponentielle de l’information rend sa compréhension
et le tri entre l’accessoire et l’essentiel encore plus compliqué. La publicité
par la captation de notre attention brouille nos sens et entraîne une véritable
« infobésité ». La publicité n’est pas seulement gênante par son omniprésence,
elle est aussi nocive pour les individus, comme pour la société : obésité,
anorexie, sexisme, frustration, comportements violents, surconsommation,
sur-endettement…
Un autre web est possible
Des modèles économiques qui se passent de publicité existent déjà et sont
viables. Wikipédia est l’un des sites les plus consultés au monde et est financé
par ses contributeurs. Ou encore, Médiapart et @rret sur images fonctionnent sur
un modèle d’abonnement communautaire.
Les politiques doivent garantir aux Français, par la loi, la liberté de
réception pour que les bloqueurs de publicités et de cookies publicitaires
soient installés par défaut sur tous les navigateurs internet pour être contrôlé
par l’internaute lui même.
Enfin, on peut aussi imaginer une redevance web qui permettrait de financer
de manière inconditionnelle les sites internet sans publicité. Faute de mieux,
nous encourageons tous les internautes, soucieux de se protéger de la pollution
et l’intrusion publicitaire à suivre le guide du site internet Surfezcouvert.net.
Notes :
(1) Sondage TNS Sofres - Australie "Publicité et Société".
(2) Service en ligne de partage d’image racheté par Facebook.
(3) 31,410 milliards d’euros de dépenses publicitaires (source IREP-France
Pub) divisés par 65 millions d’habitants.
(4) Sondage Ifop juin 2011.
Khaled Gaiji et Charlotte Nenner sont co-présidents de Résistance à
l’agression Publicitaire
Antonin Moulart est animateur de Surfez
couverts
Source : Courriel à Reporterre de R.A.P. (Résistance à
l’Agression Publicitaire)
Illustration : Docnews
Lire aussi : Les
déboulonneurs repartent à l’attaque des écrans pub video
Reporterre
vendredi 1 février 2013
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