jeudi 27 décembre 2012

La problématique de l'homo-oeconomicus

Ahmed Halfaoui    

Les achats d'armes aux Etats-Unis ont connu une augmentation fulgurante après le massacre qui a eu lieu dans une école primaire à Newtown. La société Peter Brownell, plus grand fournisseur mondial de munitions et d'accessoires, a distribué en trois jours une quantité de chargeurs quelle écoulait ordinairement en trois ans et demi.
 
La cause se trouve dans le fait que le Potus Barak Obama avait exprimé la demande d'une loi au Congrès qui interdirait la vente de fusils d'assaut et des chargeurs à grande capacité. Cela s'est produit alors que l'attente la plus rationnelle serait d'espérer une prise de conscience du danger et une inversion de l'opinion vis-à-vis du surarmement de la population.
Dans le même temps, cette attitude aurait ignoré une caractéristique fondamentale de la société étatsunienne. Une société cultivée dans l'individualisme le plus exacerbé que l'humanité ait connu. Une célèbre phrase d'Alexis de Tocqueville résume, à elle seule, les effets de ce qu'on appelle l'«american way of life» : «Tentez de sauver quelqu'un qui veut se suicider aux Etats-Unis, et l'on considérera que vous portez atteinte à sa liberté.» La phrase date de près de deux siècles, durant lesquels a été renforcé jusqu'au paroxysme le principe du chacun pour soi, enrobé dans le mythe du «rêve américain», plus qu'une simple idéologie, une religion, où l'individu est exalté, ne devant sa réussite ou son échec qu'à lui-même, en tant qu'homo-oeconomicus accompli.
On a vu l'expérimentation de la chose dans la levée de boucliers contre l'idée de la couverture sociale universelle, dont l'un de ses pourtant défenseurs, Roger Cohen, ne se prive pas d'écrire dans le New York Times que «si les chômeurs bénéficient de trop d'avantages, les gens choisiront de rester à la maison plutôt que d'aller travailler». Une étude du Pew Research Center révèle, quant à elle, que pour «58% des Etatsuniens que la liberté d'atteindre ses objectifs dans la vie, sans interférence étatique, est plus importante que la prise en charge par l'Etat des personnes dans le besoin». On comprend dès lors que des gens, soumis à une telle pression et à l'absence de solidarité, vivent dans la peur permanente de l'échec et dans l'intime conviction que leurs concitoyens ne sont rien d'autres que des concurrents ou des adversaires qui représentent la mesure de leur propre réussite. Autant d'ingrédients qui intègrent une personnalité de base susceptible de produire ces tueurs de masse que connaît le pays et cette propension à se doter d'un arsenal à même de garantir la sécurité de l'individu et de ses biens, face à un environnement social qui n'offre aucune chance aux plus faibles.

La réponse de la Maison-Blanche et de quelques sénateurs démocrates, en renfort à Obama, n'est que cette dérisoire tentative de limiter la puissance de feu permise jusqu'ici. Parce qu'il ne peut en être autrement. Ces représentants du système savent qu'ils ne peuvent aller plus loin, sans provoquer un débat de fond sur les fondements même de la société. Sans état d'âme, le lobby des armes, la National Rifle Association (NRA), propose de positionner des policiers armés devant chaque école.

Article publié sur Les Débats

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