lundi 28 mai 2012

Avoir le courage politique de s’attaquer à l’insécurité sociale

Michael Canovas

Pour lutter contre l’insécurité physique, il faut avoir le courage politique de s’attaquer à l’insécurité sociale induite par le modèle néolibéral.

Il existe deux types de protection dans les sociétés développées. La protection physique, exercée par l’Etat de droit au travers de la sécurité des biens et des personnes; et la protection sociale qui défend les individus face aux risques d’exclusion sociale (maladie, vieillesse, chômage). La crise que nous traversons diffuse les deux types d’insécurité. Les individus sont incapables de se protéger seuls. Ils se tournent vers l’Etat pour que ce dernier assure un rôle protecteur. 

Malgré le recul des guerres, le démantèlement de l’Etat providence a renforcé le sentiment d’insécurité. L’élection du 22 avril 2012 a démontré ce phénomène en portant la question de l’insécurité physique avant la question sociale, comme l’avait fait Nicolas Sarkozy en 2007. La Gauche devra admettre que le problème d’insécurité physique existe bel et bien. Elle devra cependant convaincre que son origine n’est pas l’immigration ou l’islam mais bien la misère distillée par l’ensemble du modèle néolibéral et l’individualisme.

1. L’insécurité est inhérente à la vie humaine et sa condition sociale.

Sur le plan psychologique, il existe un sentiment d’éternelle insécurité chez les individus, qui en outre s’accroît avec l’âge. Ce besoin de protection est propre à la condition sociale de l’homme moderne. La vie comporte toujours une part de risque et prend une voie souvent inattendue et incontrôlable. Le sentiment d’insécurité naît du décalage entre l’attente de protection et celle effectivement donnée par la société. Le système de protection n’étant pas infaillible, il génère par définition de l’insécurité. L’incertitude est universelle et éternelle (la mort, la maladie, le risque, l’échec, etc..). C’est un sentiment très subjectif qui ne s’explique pas forcément par l’empirique. Les phénomènes de violence et de délinquance ont toujours existé, quelles que soient les régions, les cultures et les religions dominantes. Les bouleversements qui ont touché l’occident en temps record (mondialisation, nouvelles technologies, etc..) ont entraîné la perte de repères identitaires. L’incertitude influence les acteurs dans tous les domaines de la vie (sur le plan économique, sociologique et psychologique). C’est donc un penchant indéniable de la nature humaine qu’il faut prendre en compte dans toutes les activités commerciales ou électorales.

2. Pourquoi les médias entretiennent-ils le sentiment d’insécurité ?

L’insécurité fait vendre, comme la peur au Cinéma. Les médias (journaux, télévision ou internet) accroissent le sentiment d’insécurité avec les phénomènes de répétition voire de martelage d’informations relevant de faits divers (agressions, délinquances). Ils surfent sur ce penchant de la nature humaine pour s’enrichir. Ces craintes des individus ajoutées au sentiment d’insécurité économique lié à la crise favorisent les discours identitaires et autoritaires, y compris dans des zones où l’insécurité est très faible (dans les campagnes notamment). Le sentiment d’insécurité physique est véhiculé dans ces régions par le biais de la télévision. De nombreuses zones géographiques, rurales notamment, à faible taux de délinquance ont présenté des résultats électoraux records pour le Front National en 2002 et 2012. Les médias ont la capacité d’interpréter l’information et de l’organiser pour transformer les perceptions et ainsi créer un sentiment de panique infondé (exemple: la grippe H5N1). La classe politico-médiatique ne crée pas le sentiment d’insécurité, mais l’entretient fortement à des fins commerciales ou électorales.

3. La solidarité : un remède à l’insécurité depuis toujours.

Un seul individu désocialisé, seul et sans lien de dépendance est en situation d’insécurité. Dans les sociétés anciennes les individus formaient des groupes (familles, communautés) qui assuraient la sécurité de la collectivité. Ils vivaient constamment face à des risques graves : épidémies, famines, guerres. L’avènement des sociétés modernes a transformé la place de l’individu désormais reconnu pour lui même et non plus pour son appartenance à un groupe. En effet, la philosophie libérale qui a triomphé parmi les élites depuis une trentaine d’années est profondément individualiste. Elle place l’être humain au cœur de la société et fait reculer les contraintes étatiques et absolutistes. Elle le tient pour responsable de sa propre condition et de ses actes. Cette dernière met donc en péril les valeurs républicaines de solidarité et de collectivité. Face à la crise du chômage, la gestion collective de l’exclusion a été progressivement remplacée par une gestion individualisée. L’affaiblissement des mouvements sociaux en est l’exemple le plus flagrant. Seule la solidarité peut combattre efficacement la misère et faire reculer ce sentiment d’insécurité.

4. Etre libre mais protégé : un équilibre à trouver entre deux antagonismes.

La défense dogmatique de la liberté au cœur de l’idéologie néolibérale suscite une méfiance vis-à-vis de l’État et de ses réglementations sécuritaires. Les politiques sécuritaires sont critiquées malgré la nécessité d’assurer l’ordre. Il existe donc une contradiction présente chez chaque être humain vieille comme le contrat social de Rousseau. L’Homme est tiraillé entre son désir de liberté et sa volonté d’être protégé. Thomas Hobbes parlait déjà au XVIIème siècle des « sociétés d’individus ». Il évoque une société à l’état de nature sans loi, sans droit, sans État où régnerait une concurrence accrue entre les individus en situation d’insécurité totale. Pour Hobbes, la lutte pour la sécurité est la condition sine qua non à la vie d’une communauté humaine. Les politiques sécuritaires sont toujours impopulaires. Il est difficile d’instaurer un État de droit de type démocratique lorsque les individus exigent des politiques sécuritaires tout en revendiquant une forte liberté. C’est pour cette raison précise que l’insécurité n’est pas éradiquée depuis les années 1980 malgré l’émergence indéniable du problème.

5. L’insécurité physique est le fond de commerce électoral de la droite et de l’extrême droite.

Cette contradiction profite à l’extrême droite cohérente idéologiquement sur ce point en ce sens qu’elle prône depuis toujours l’autoritarisme, la force et l’ordre. Elle se présente en effet comme un adversaire du libéralisme (sous toutes ses formes : économique et politique). La hausse du sentiment d’insécurité entraîne une stigmatisation des immigrés accusés par simplification d’être à l’origine des problèmes sociaux. En période de crise, la peur de l’autre, le racisme et la haine de la différence prennent l’ascendant sur les valeurs de partage, d’intégration et de tolérance. Pour les partis d’extrême droite, les idées reposent essentiellement sur les pires penchants de la nature humaines. L’enjeu est de désigner une cible simple à tous les maux : l’immigré. Il faut trouver une réponse claire à l’insécurité : la répression. Il est donc plus simple pour l’UMP ou le Front National de combattre l’insécurité uniquement par la répression que de remettre en cause tout le modèle social qui la génère. Cette volonté éhontée de préserver le système en s’attaquant uniquement à l’insécurité physique fait du Front National le chien de garde au système.

6. Avoir le courage politique de s’attaquer aux vrais coupables : misère de masse, grand banditisme, patrons voyous et milliardaires apatrides.

Les deux formes d’insécurité (sociale et physique) sont donc profondément liées. Lutter contre l’insécurité sociale permet d’endiguer une part importante de l’insécurité physique. Cela signifie que l’Etat social doit plus que jamais combattre la tyrannie des marchés pour en limiter les conséquences sociales néfastes. Il faut affronter les ravages de l’industrialisation et du capitalisme moderne. Il est essentiel d’assurer la continuité des droits sociaux et d’imposer le progrès social comme règle d’or au sein de toutes les politiques publiques. Face à l’urgence que représente la question de l’insécurité, il faut prendre des mesures radicales. La violence et la délinquance, engendrées par la misère de masse, ne pourront être endiguées que par une politique de relance sociale ambitieuse, un plan d’emploi (augmentation des salaires, titularisation des précaires, retour au CDI et ré-industrialisation du pays), par l’intégration et l’éducation républicaines, la construction de logements et une réorganisation géographique de la fonction publique. Il faut réprimer les voyous. Certes, mais arrêter les voleurs de mobylettes ne résoudra pas le problème.

Il faut absolument combattre le grand-banditisme (grands trafiquants : armes, drogues, organes, etc…) installés dans des réseaux internationaux, qui blanchissent des milliards sur les marchés financiers “offshore” et les paradis fiscaux. Il faut aussi sanctionner les patrons voyous, les milliardaires et les actionnaires, enrichis par le travail des autres, qui ne réinvestissent pas et n’acceptent plus de partager depuis qu’ils peuvent soi-disant s’expatrier.



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